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God save the gouines.

Blog opératoire : la badasse s'en va-t'en guerre.

Page principale - Brouillons

Tu seras une femme, ma fille

--> Claire Castillon (pique et pique)

Les goûters se sont transformés en boums. La mère essaye de mettre du rouge aux lèvres de sa fille, mais celle-ci se cabre, pince sa bouche, elle dit qu'elle veut choisir elle-même ses vêtements pour sa fête et la mère sait comment ça se termine, toujours en jogging. C'est à la dégoûter d'avoir fait une fille. Avec ses grands fils, elle a eu droit aux skate-boards, aux chips, à la gomina sur son peigne et aux traces de doigts sur les canapés, mais sa cadette ne se comportera pas de la sorte. La mère va prendre les choses en mains. Il n'est plus question de la laisser rentrer de boum tout sourire sous prétexte qu'elle a porté les garçons pendant les slows, parce qu'elle est plus grande que la moyenne de son âge. Imaginer sa fille en train de soulever un petit gars pour le faire tourner lui donne le vertige. Elle a déjà profité de ses mauvais résultats en mathématiques pour l'obliger à arrêter le basket. À la place, elle prend des cours privés avec une jeune et jolie étudiante qui ne fait pas forcément le poids en enseignement, mais qui sait se fagoter et se rendre désirable. La mère compte sur elle pour raconter à sa fille ses petites affaires amoureuses, elles ont finalement peu d'années d'écart, et l'étudiante n'est pas du style à porter les garçons pendant les danses. Pour garder un homme, et la mère sait de quoi elle parle, mieux vaut façonner son corps avec exigence et, dès qu'il est parfait, délicatement, l'offrir.

Rien ne vient. La fille ne jure que par les caleçons flottants et les brassières qui écrasent ses seins naissants. La mère prend son mari à part, elle lui explique encore son désespoir, et il dit que ça viendra, la féminité n'est pas machinale.
-Aide-moi à la provoquer, lui dit la mère.
-Mais, voyons, laisse-la être adolescente, se chercher.
-Tu ne vois pas qu'elle ressemble à un garçon ? Elle m'a demandé de lui payer le coiffeur, elle veut une coupe courte.
-Eh bien, c'est la mode, laisse-la faire, ça repoussera.
-En plus, je ne sais pas si tu as remarqué, mais ses seins sont tout petits.
-Ils n'ont peut-être pas terminé leur croissance, et ils sont très jolis comme ça.
-Nianianianiania.

La mère regarde sa fille de travers et la punit souvent pour des gros mots qui n'en sont pas, des expressions empruntées à ses frères, alors la fille s'étiole, insultée et meurtrie. La fille voudrait malgré tout plaire à sa mère. Elle rapporte de bonnes notes, sa mère détourne le regard, elle lui parle de sa journée, et la mère tape avec sa cuiller en bois contre le bord d'une casserole. La fille achète des fleurs, la mère soupire en les acceptant, puis les jette avant qu'elles ne fanent. La fille finit par oublier à quoi ressemble le sourire de sa mère, elle le surprend parfois adressé à la petite voisine de douze ans qui vient, elle, d'enregistrer un disque, et se tresse les cheveux à l'indienne. Alors la fille perdue demande pour son anniversaire de se faire opérer des seins et bizarrement ça marche, la mère sourit, et surtout la mère accepte.
La fille a dix-sept ans et des seins gigantesques. La mère encourage la fille à continuer la mutation et lui offre des parures de lingerie. Elle achète des culottes trop grandes pour que la fille remarque d'elle-même que quelque chose cloche entre le haut et le bas. La fille demande à se faire sculpter le derrière. Et la mère offre des séances de gymnastique et de modelage. La fille raccourcit ses longues jupes, et la mère jubile.

La fille rate son bac, et la mère est contente. Une femme se trouve un mari, pas besoin de repiquer, l'essentiel est de savoir se débrouiller en langues afin de voyager. Elle l'envoie dans un bar, servir en Italie. Un bar de jour, bien sûr, la fille dispose de ses nuits. Seule, elle rencontre Rico, un Français italien, qui lui propose très vite de travailler pour lui dans le spectacle et en France. Elle rentre d'Italie, le présente à sa mère qui le trouve à son goût.
-Et de quel spectacle est-il question ? demande le père.
-De catch féminin.
-Mais c'est un sport viril ! explose alors la mère.
-Non, c'est un sport de femme, un catch particulier, qui rend les hommes fous, ça se danse en boîte de nuit.
-Oh, si ça se danse, ça va, dit la mère rassurée. Qu'est-ce que tu en penses, chéri ?

Et le mari opine, il est si soulagé que son épouse soit redevenue, depuis que leur fille est fille, une femme amoureuse. Après tout, la danse catch, c'est sûrement drôlement bien.
La fille part en voiture, à côté de Rico, et la mère se pâme devant le coupé. Elle se réjouit déjà à l'idée d'un mariage. Mais, pour cela, il faudrait, pense-t-elle en s'endormant, qu'elle sache serrer le gibier avec intelligence, je n'ai pas aimé sa façon de marcher, on dirait un cow-boy, il faudra que je le lui dise, il faudra que je lui montre comment se déhancher. Pour un homme, c'est détestable de promener une femme qui ne sait pas minauder. Je profiterai de dimanche, et je lui montrerai comment passer sa langue sur ses lèvres et sa main dans ses cheveux, et puis comment s'asseoir en écartant doucement les jambes, les cuisses, à peine bien sûr, je ne dis pas qu'elle doive se dévoyer, seulement savoir le faire pour l'homme qui l'accompagne, sans que les autres la voient. Oui, quand elle reviendra dimanche, je lui montrerai que faire de ses mains et comment les poser sur l'homme pour ne pas le laisser filer. Je l'aurai, mon mariage de princesse et ma robe, songe la maman en s'endormant.

Six mois que les nuits se terminent à se soigner la peau, irritée par le chou chaud. Le catch dans la choucroute fait pleurer la fille tous les soirs, et les brûlures, le temps du spectacle, ne trouvent remède qu'avec une saucisse, alors la fille se caresse avec une Montbéliard et ça apaise un peu l'acidité du chou, même si ça relance la foule, en délire, amusée, et la mère est contente, elle qui vient assister de temps à autre au spectacle et s'arrange pour caser que c'est elle, la mère de la petite. Rico a embauché trois autres filles ; à quatre dans la choucroute, elles se ruent l'une sur l'autre et font un tabac, d'ailleurs il s'est acheté un deuxième coupé, un manteau et un pied-à-terre avec des arbres. Après le spectacle, les catcheuses s'excusent d'avoir dû se frapper, se crèment les unes les autres. Ce soir, en sortant fatiguée de la discothèque du Pont d'Orly, la fille voit Rico embrasser une autre femme. Alors elle file en direction d'Orly, il y a peut-être un avion, elle espère partir vers une nouvelle destination, ni Francfort ni Strasbourg. Elle marche sur le bas-côté, mais des spectateurs qui se sont régalés la rattrapent, ils lui parlent de saucisse, elle n'entend pas bien, pas tout, à cause du chou, qui entre même dans les oreilles et colle aux cheveux, comme le jus que les hommes vont balancer sur elle en l'appelant Boudin Chaud, avant de la terminer à coups de barre en fer.

Ce dimanche, quand la mère est venue à la morgue reconnaître sa fille, elle a été outrée. Elle a seulement dit que ce n'était pas sa fille, sa fille étant une vraie femme désirable, fabriquée par ses soins, et qui n'aurait jamais toléré dans la mort d'avoir les cheveux gras.

Ecrit par kaleria, le Dimanche 8 Avril 2012, 16:15 dans la rubrique "# Niouzes".

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